L'histoire de Montfranc

Ce travail de recherche historique a été mené par Arthur Botet, étudiant en histoire, et Claudine Bru, ancienne maire d’Arvieu. Le texte est d’Arthur Botet.

Nous les remercions chaleureusement !

Le Domaine de Montfranc, sur les traces des Bonnefous

Le domaine de Montfranc, qu’on appelle parfois improprement “Château de Montfranc”, est constitué d’une imposante demeure de 650m2 sur un terrain de 1,5 ha. Laissé plus ou moins à l’abandon depuis de nombreuses années, le domaine continue néanmoins de fasciner les habitants d’Arvieu. En effet cet espace caché par des arbres centenaires est héritier d’une riche et longue histoire qui en fait un élément essentiel du patrimoine du village d’Arvieu, dont il fut pendant longtemps un centre économique, parfois politique, lié à l’essor et au déclin d’une famille locale : la famille Bonnefous. Retracer l’histoire de cette famille et ses liens avec le village d’Arvieu au cours du temps est un exercice difficile, complexifié encore par des lacunes en matière de documentation. Des zones d’ombres existent, qui renforcent le caractère mystérieux du domaine mais les éléments connus de l’histoire des Bonnefous permettent tout de même d’entrevoir le passé glorieux de Montfranc.

Avant les Bonnefous, la famille Blanc-Paulhe

La famille Blanc-Paulhe est une des plus ancienne familles bourgeoise d’Arvieu qui possède de nombreux biens ans les environs d’Arvieu mais aussi probablement dans des localités voisines notamment à Frontin à Canet de Salars, les membres de cette famille vivent en partie de rentes foncières. Il est possible qu’au milieu du XVIIIe siècle elle achète aux seigneurs d’Arvieu, en manque d’argent, une parcelle de terre appelée le Mas d’Arvieu qui désigne probablement ce qu’on l’on appelle aujourd’hui Montfranc, cela reste néanmoins une hypothèse dans la mesure où la documentation est trop lacunaire pour l’affirmer mais on sait qu’au moins en 1763, les Blanc-Paulhe sont propriétaires du “Mas d’Arvieu”. Les Seigneurs d’Arvieu, eux, vivaient dans leur Château, parfois encore appelé aujourd’hui “le couvent” et croulent sous les problèmes financiers, comme un grand nombre de membres de la petite noblesse rurale française.

Les seigneurs d’Arvieu, la famille De Vigouroux

À partir de 1600 Les seigneurs d’Arvieu sont les d’Astugue. Le dernier des d’Astugue, Jean, est connu pour ses exactions et sa mauvaise conduite envers les populations locales. Sur décision de Justice, il est contraint de vendre la seigneurie et est emprisonné. 

Au milieu du XVIIIe c’est au tour de la famille De Vigouroux d’acheter la seigneurie d’Arvieu. A l’origine les De Vigouroux sont des marchands drapiers de la cité de Rodez, ils sont anoblis par lettre patente vers 1470 et deviennent alors les seigneurs du Barry (le Vibal). Au XVIIIe les De Vigouroux font donc partie de la noblesse ancienne et bénéficient d’un certain prestige et de moyens conséquents. En 1756 l’héritier de la branche cadette de la famille, Amans-Charles de Vigouroux, achète la seigneurie d’Arvieu, avec le titre de baron. Mais cet achat aura de lourdes conséquences, il hérite en effet d’une seigneurie en bien mauvais état : le château était fortement délabré et mal entretenu mais ce n’est pas tout, il achetait en même temps que la seigneurie les terres adjacentes qui étaient exploitées par des paysans lui reversant une rente. Sauf que ces paysans exploitent de générations en générations les mêmes terres et renversent la même rente année après année. 

Or le contexte devient de moins en moins favorable pour cette petite noblesse rurale : si la noblesse de cour croule sous les richesses et vit dans de somptueux châteaux et garde pour elle les plus hautes charges du royaume, les chevaliers de campagnes doivent faire face à des difficultés économiques croissantes de même qu’à la montée en puissance de la bourgeoisie, désireuse d’obtenir les même droits politiques que la noblesse. Dans ce contexte, les De Vigouroux décident de renflouer leurs caisses en augmentant les impôts seigneuriaux sur leurs terres.   

Cette décision pèse sur les paysans locaux qui doivent alors payer non seulement les rentes des terres qu’ils exploitent, souvent pour le compte d’autrui (parfois les seigneurs, parfois un bourgeois ou un paysan aisé) sous la forme de métairie, mais aussi les impôts seigneuriaux, la dîme au clergé et les impôts royaux, qui augmentent également car le royaume s’est endetté lourdement dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. La situation à Arvieu est donc tendue et cette tension va monter d’un cran lorsqu’un riche et ambitieux bourgeois décide de faire de l’ombre aux De Vigouroux : Léonard Bonnefous.

Léonard Bonnefous, le bourgeois gentilhomme

Léonard Bonnefous est un bourgeois aisé originaire d’Auriac-Lagast. Il arrive à Arvieu vers 1763, date à laquelle il épouse la descendante des Blanc-Paulhe : Marie propriétaire du Mas D’Arvieu. Or dès son arrivée à Arvieu, Léonard multiplie les affronts envers le seigneur : il fait cuire son pain au “Mas d’Arvieu” dont sa femme est propriétaire, alors qu’en tant que sujet de son seigneur, il est normalement tenu de faire cuire son pain dans le four banal (four du seigneur), il se procure également des chiens de chasse, or la chasse est un privilège réservé à la noblesse. En fait, Léonard Bonnefous tient peu compte des règles féodales encore en vigueur et tout bourgeois qu’il est, se comporte en véritable seigneur, de quoi susciter la colère des De Vigouroux. Une confrontation sans merci s’engage alors entre le seigneur et le bourgeois gentilhomme.

En 1783, cette confrontation monte encore d’un cran, en effet Léonard, obtient de par sa femme, la propriété du “Mas d’Arvieu”. Il a maintenant un endroit en position dominante où construire ce qu’il a pensé comme le symbole de son pouvoir. Léonard ne perd pas de temps et à partir de 1785-1786 entreprend la construction de son château, qui commence à sortir de terre à partir de 1786. Sa demeure, Léonard l’avait voulue avec trois tours : une au centre, faisant office de pigeonnier, et deux sur les côtés. Le château des De Vigouroux, en comparaison, fait bien pâle figure avec une seule pauvre tour délabrée, aucune comparaison possible avec la majesté de la demeure du bourgeois. S’en est trop pour le seigneur De Vigouroux qui ne peut supporter qu’un roturier piétine impunément les règles et traditions féodales héritées du Moyen-Âge qui voulaient que seul le seigneur dispose d’un château agrémenté de tours. Il saisit le parlement de Toulouse (les parlements durant l’Ancien Régime sont des cours de Justice) et obtient gain de cause : la construction d’au moins deux des trois tours doit cesser immédiatement sous peine de destruction de la demeure. Ne voulant pas prendre un tel risque, Léonard renonce à ses tours, mais la construction continue et se termine en 1787.

Il dispose désormais d’une imposante demeure bourgeoise et continue de développer son Empire agricole, il récupère des terres à Canet et Trémouille et met également la main par achat, procédures juridiques ou héritages sur de nombreux biens appartenant à sa famille dans les localités de Roube, Auriac Lagast ou de Garrounelle à Calmont. Léonard devient l’homme le plus riche et influent du village, il est de surcroît docteur en médecine, ce qui lui assure de substantiels revenus et la respectabilité du notable. Il met sa richesse et son influence au service de la cause révolutionnaire entre 1789 et 1799, autant par opportunisme que par idéal anti-seigneurial.

L'Empire des Bonnefous

Léonard avait amassé autour de lui un nombre considérable de richesse : il recevait de nombreuses rentes en nature comme en argent, et le domaine de Montfranc devint un élément central dans l’économie locale. Durant la plus grande partie du XIXe siècle, les Bonnefous ont le vent en poupe : ils achètent toujours plus de terre. Léonard est consigné comme cultivateur dans les registres d’état civil (cultivateur désigne alors globalement tout propriétaire foncier ou exploitant agricole sans distinction) mais il continue d’exercer la médecine. 

On sait que du vivant de Léonard, le domaine comprenait un valet, plusieurs, domestiques, une gouvernante, des ménagères, des cuisiniers, des jardiniers : des productions agricoles étaient donc réalisées sur le domaine, mais un grand nombre de denrées affluaient également de par les rentes des terres louées à différents endroits du canton. 

Les fermiers payaient alors en hectolitres de seigle ou d’avoine, en poulets, en œufs, en charrois (moyen transport constitué de plateau avec des roues) et bien sûr en argent. En 1857 les Bonnefous étaient assis sur un capital de 71 000 fr (un ouvrier agricole gagnait en moyenne 200 Francs par an) et disposaient de 45 hectare à Arvieu même, dont 12 ha ont été racheté au malchanceux descendant de la famille De Vigouroux, notamment l’étang et les moulins. La valeur des biens des Bonnefous estimés à Arvieu est de 900 francs. Mais ce n’est pas tout, le domaine des Bonnefous à Auriac Lagast fait environ 125 ha et sa valeur en 1857 est estimée à 1250 francs, le domaine de Garrounelle à Calmont, qui fait 66 hectares, est, lui, estimé à 1400 francs. 

Les Bonnefous profitent pendant la première moitié du XIXe siècle du dynamisme agricole leur permettant de maintenir un niveau de richesse considérable, ils exposent leur richesse et agrandissent leur patrimoine, c’est par exemple Hippolyte Bonnefous, le petit-fils de Léonard qui fait construire le château Saint-Louis, aujourd’hui la mairie, entre 1869 et 1872.

La famille Bonnefous, la politique et le pouvoir

Léonard, le fondateur.


    Dès les débuts de la révolution, Léonard se range naturellement du côté des révolutionnaires. Cela n’a rien d’étonnant étant donné son passif avec la famille De Vigouroux dont il cherche à se débarrasser. Plus généralement la bourgeoisie, rurale comme urbaine, fut un des moteurs de ce changement politique majeur qui secoua la France et l’Europe entre 1789 et 1799. Léonard ne fait pas seulement que sympathiser avec les idéaux révolutionnaires, il tient un rôle actif et il est en lien permanent avec les instances politiques de Rodez ayant résulté de l’avènement de la Première République en 1792. Son implication dans le camp des révolutionnaires est connue de tous et influe sur les comportements politiques de la population arvieunoise auprès de laquelle Léonard est très populaire. Cette influence est connue non seulement à Arvieu, mais aussi dans tout le Canton voire plus loin, ce qui lui attire les foudres des royalistes encore actifs et notamment des royalistes en maraude, lambeaux de l’armée du rebelle royaliste lozérien Charrié. Une troupe de 500 maraudeurs royaliste en perdition ayant eu vent que le fief d’Arvieu était un bastion révolutionnaire se dirige alors vers le village avec la ferme intention d’en découdre : c’est ce que l’historien Henri Grimal a appelé “L’affaire d’Arvieu”. La troupe, une fois dans le village, se serait alors livré à des pillages et exactions en tous genres et a ciblé en priorité la demeure de Montfranc qu’elle savait appartenir à un influent bourgeois ennemi du roi et de la noblesse : Léonard Bonnefous. Naturellement ils se saisissent des nombreux biens présents dans la maison et capturent Bonnefous. Ce dernier parvient néanmoins à s’échapper et fuit vers Rodez où il prévient la garde nationale qui s’empresse alors d’intervenir et finit de tailler en pièces les derniers vestiges de l’armée de Charrié. Le rôle politique de Bonnefous ne s’arrête pas à l’affaire d’Arvieu : il est également actif dans la poursuite et la saisit des biens des prêtres réfractaires (hostile à la constitution civile du clergé), entretenait des liens avec les officiers républicains de rodez, mais aussi les Franc-Maçons dont il est membre depuis 1772 (son fils suit d’ailleurs son exemple et devient Franc-Maçon à son tour en 1786 à l’âge de 22 ans), il devient également maire d’Arvieu en 1801 et meurt en 1807. Il a réussi son pari de faire des Bonnefous la famille la plus influente d’Arvieu et de Montfranc un lieu central, symbole de ce pouvoir.

“L’âge d’or” des Bonnefous

Durant la plus grande partie du XIXe siècle la famille Bonnefous confirme son influence locale, notamment en matière politique, dans la lignée de Léonard qui avait ouvert la voie. En effet pendant de nombreuses années les Bonnefous monopolisent la mairie d’Arvieu, mais démissionnent ou sont destitués de leur mandat en fonction du contexte politique. La famille Bonnefous d’abord rangée du côté de la République devient un fervent soutien de l’Empire entre 1804 et 1815. Rien de plus normal, Napoléon Ier cherche en priorité le soutien des campagnes, où vit la majeure partie de la population (donc un vivier intarissable de soldats) et qui représentent la principale source de richesse en ce début de siècle. Ces campagnes Napoléon les savait dominées par les propriétaires terriens et la petite bourgeoisie rurale : la politique de l’Empereur fait les choux gras des Bonnefous qui s’impliquent plus encore en politique. Léonard Victor (1764-1832), le fils de Léonard Bonnefous a d’abord été maire de 1801 à 1815, date à laquelle il démissionne, peut-être en protestation contre le retour de la monarchie. Ses fils Paul Léonard Emile (1814-1857) et Marie Louis Hippolyte (1819-1902) sont également maires à plusieurs reprises entre 1851 et 1879 et comme leur pères ils quittent leur postes en fonction du contexte politique et leurs enfants, François Léonard (1848-1924) et Marie Hippolyte (1850-1930) suivent également ce modèle en étant maires ou adjoints du maire par intermittence. Au total entre 1801 et 1913 les Bonnefous sont maires d’Arvieu sur une période de 60 ans. Marie Louis Hippolyte établi même un bail avec la commune pour qu’une pièce de Montfranc serve de maison commune ou de mairie entre 1865 et 1879, période durant laquelle il est d’ailleurs maire du village (on ne sait pas réellement si la salle communale cesse d’être située à Montfranc en 1879 mais c’est fort probable étant donné que le mandat d’Hippolyte cesse à ce moment). Mais en mars 1879 Marie Louis Hippolyte Bonnefous est révoqué par le préfet avec l’assentiment du Ministre de l’Intérieur et même du Président de la République car il refuse d’afficher l’ordre du jour de la Chambre des députés du 13 mars 1879 “dans sa cour” soit à Montfranc même. Il est révoqué par arrêté préfectoral le 23 mars 1879 et son neveu François Léonard démissionne pour le soutenir. Cette révocation est un signe de l’influence des Bonnefous : les républicains nouvellement au pouvoir ont peur de l’influence qu’ils peuvent avoir à Arvieu mais aussi dans tout le Canton de Cassagne. En parallèle de leur activité politique et de leurs revenus agricoles, les Bonnefous exercent également des métiers leur assurant des revenus stables et conséquents : ils sont médecins, avocats ou procureurs. Ce sont tous des notables fortunés et leur patrimoine s’agrandit encore : en 1870 Marie Louis Hippolyte fait construire le château de Saint-Louis, aujourd’hui la mairie, sur des terres rachetées aux de Vigouroux, il le flanque de deux tours comme pour exaucer le vœu de son grand-père Léonard de se doter d’un château de type seigneurial. Marie Louis Hippolyte en fait son lieu de résidence alors que son frère réside encore à Montfranc.

Le déclin

Plusieurs raisons expliquent le déclin de cette famille qui avait fait la pluie et le beau temps à Arvieu durant tout le XIXe siècle. La première est d’ordre dynastique : en effet sur les deux fils de Paul Léonard Emile (1814-1857) le petit fils du premier Léonard Bonnefous, François Léonard (1848-1924) et Marie Hippolyte (1850-1930), seul ce dernier assure sa descendance, mais son premier né, Marc Louis Léonard (1884-1885), meurt seulement un an après sa naissance et de ses deux filles Marie Clara Gabrielle se marie avec Mr Tremolliores mais n’ont pas d’enfants (1886-1980) et Marie Louise Claire (1889-1961)reste célibataire. Certains habitants d’Arvieu se souviennent encore comme les “Dames de Montfranc » avec leur banc particulier de cette famille à l’intérieur de l’Église, banc privé, signe de leur importance.

 La seconde explication du déclin des Bonnefous se trouve dans les mutations économiques du monde agricole en France à partir de la fin du XIXe siècle. Si la monarchie de Juillet (1830-1848), puis le Second Empire (1852-1871) sont des régimes qui favorisent la bourgeoisie un certain ralentissement des prix de la rente se fait sentir des le milieu des années 1870 et à partir des années 1880 la rentabilité des domaines agricoles ne cesse de baisser. Tant que les héritiers Bonnefous sont en vie, ils peuvent néanmoins assurer la stabilité financière de la famille de par leurs revenus mais aussi et déjà par la vente des biens hérités de leurs aïeux, d’ailleurs, Marie Louis Hippolyte vend le château de Saint-Louis en 1882, soit seulement 10 ans après sa construction. Entre 1904 et 1932 tous les biens et terres situés hors d’Arvieu sont vendus. Le dernier héritier Bonnefous, Marie Hippolyte, meurt en 1930 et les dernières habitantes, les Dames de Montfranc doivent alors vivre des maigres revenus de rentes des terres du domaine jusqu’aux années 1960. Le domaine agricole est vendu vers le milieu des années 1960 à un jeune agriculteur et le château et son parc restent dans la famille transmis à la famille Aurejac de Saint Félix Lunel, parente des Bonnefous.

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